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Les Droits Humains en entreprise, un levier de valorisation durable

Bertille Crichton
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Les Droits Humains en entreprise, un levier de valorisation durable
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La prise en compte de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) est désormais un levier de performance et de valorisation pour celles qui s’engagent dans une démarche plus durable et créatrice d’opportunités. Des initiatives contraignantes ou volontaires se sont multipliées à l’international en réponse aux attentes croissantes de la société civile (ces dernières s’illustrant parfois par des campagnes de boycott) et aux changements intrinsèques que nous vivons.

En parallèle de cette prise en compte croissante de l’impact environnemental des entreprises, la question de la protection des Droits Humains[1] contre les atteintes commises par ces dernières (conditions de travail indécentes, travail des enfants, discrimination, atteinte aux droits à la négociation collective, vie privée, harcèlement etc.) est devenue centrale dans la gestion de la création de valeur d’un business que l’on veut pérenne et responsable, s’imposant comme un enjeu de gouvernance.

Les nouvelles régulations, à l’instar de la loi française sur le “devoir de vigilance”, exigent des entreprises concernées[2] de cartographier les risques qu’elles font peser sur les droits humains, la santé, la sécurité et l’environnement et de mettre en place des mesures d’évaluation, d’atténuation et de suivi tout au long de leur chaîne de valeur.

Sur ce fondement juridique, sept contentieux sont en cours devant le juge français. En devenant responsables des comportements négatifs que peuvent avoir leurs sous-traitants, fournisseurs, franchisés et filiales, les entreprises se retrouvent donc face à des enjeux décuplés et à des risques juridiques et d’images forts. Cependant, ces nouvelles attentes ne sont pas uniquement de nature coercitive. Elles leur permettent également de mieux connaître leur chaîne d’approvisionnement, de mettre en place des mesures pour remédier aux atteintes et de se protéger des risques juridiques et réputationnels forts, sous l’effet de la multiplication des contentieux et des recours intentés par les ONG relayés par les médias. Cet accroissement du risque de “name and shame” se pose surtout à l’encontre d’entités insuffisamment préparées ou sensibilisées.

Toutefois, en réduisant les nouvelles obligations à un exercice "tick the box", les acteurs économiques passent à côté de l’opportunité d’adapter leur business model pour répondre aux enjeux et obligations de demain. Et, bien que peu soient aujourd’hui assujettis à des obligations de vigilance, ces lois et engagements entraînent des répercussions sur un nombre conséquent d’entreprises de taille intermédiaire (fournisseurs ou sous-traitants des entreprises concernées par les lois), devant faire preuve de transparence et d’engagement, sans pour autant avoir les ressources matérielles et financières pour déployer des processus adaptés. Cet effet de ruissellement nécessite de la part des grandes structures de déployer des processus d’accompagnement et de sensibilisation de leurs parties prenantes afin de promouvoir plus largement et dans de bonnes conditions le respect des droits humains.

Dans une optique de consensus, que l’on soit client ou fournisseur, le recours à une politique droits humains est devenu nécessaire afin de développer de nouvelles opportunités de business. De manière à prétendre à des labellisations, à l’accès à des agences de notation, ou encore pour répondre aux clauses RSE en place dans les appels d’offre, le sourcing de produits et/ou de services doit être fiable et transparent. Ainsi, disposer d’une politique forte en matière de droits humains permet de renforcer sur le long terme la compétitivité et la performance globale de l’entreprise, tant en interne qu’à l’externe. En prenant intrinsèquement en compte les aspects sociaux dans leur fonctionnement, elles en retirent de nombreux bénéfices : un dialogue accru avec leurs parties prenantes, une réflexion pérenne sur leur développement et leurs valeurs, la fidélisation de leurs collaborateurs ou encore la possibilité de capter des ISR (sociétés ou fonds d’Investissement Socialement Responsables) de manière durable.

En avril 2021, la Commission européenne a adopté la proposition de directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) sur les rapports de durabilité des entreprises qui modifie les exigences de l’actuelle directive NFRD (Non Financial Reporting Directive). La proposition étend le champ d’application en maintenant et développant des thématiques en matière de droits humains et des indicateurs précis les concernant : les conditions de travail, le dialogue social, la participation des travailleurs, les libertés fondamentales, etc. Ainsi, la mise en avant de politiques et d’indicateurs consolidés permettrait de répondre efficacement aux attentes de la CSRD, mais surtout de présenter des données ESG (Environnemental, Social et Gouvernance) dans une optique de création de valeur. Tout comme le label ISR, qui se donne pour objectif de « rendre plus visibles les produits d’investissement socialement responsables pour les épargnants », de nombreux fonds décident aujourd’hui d’investir dans des produits et services plus verts et durables.

Enfin, le règlement sur la taxonomie européenne, partie intégrante du green deal, fait référence à des textes majeurs pour les droits humains et considère qu’une activité n’est durable que si elle respecte les garanties minimales en la matière, rendant ainsi impossible l’alignement à cette classification spécifique pour celles qui ne les respecteraient pas. Cette consécration ouvre même la voie à un projet spécifique de taxonomie sociale, qui encouragerait les acteurs privés à prendre en compte les droits civils et politiques, mais également économiques, sociaux et culturels dans la poursuite de leurs activités.

Ainsi, la gestion des risques en matière de Droits Humains dans des chaînes de valeur complexes peut encore paraitre laborieuse. Mais l’identification, la prévention et l’atténuation des risques deviennent incontournables, permettant aux entreprises d’éviter des risques juridiques, réputationnels ou financiers, mais également de créer un vecteur de fidélisation de leurs parties prenantes et une plus-value différenciante. Au-delà des attendus réglementaires, ceux de la société civile ne cessent de grandir et de se cristalliser dans des modes de consommations plus durables : les entreprises devront donc se saisir de ces enjeux afin de rester compétitives. Comme l’exprime si bien le titre du livre de Pascal Demurger, Directeur général de la MAIF, “l’entreprise du XXIème siècle sera politique ou ne sera plus”.

[1] Définition des Droits Humains proposée par les Nations Unies, comme les « les droits inaliénables de tous les êtres humains, sans distinction aucune, notamment de race, de sexe, de nationalité, d’origine ethnique, de langue, de religion ou de toute autre situation. Les droits humains incluent le droit à la vie et à la liberté. Ils impliquent que nul ne sera tenu en esclavage, que nul ne sera soumis à la torture. Chacun a le droit à la liberté d’opinion et d’expression, au travail, à l’éducation, etc. ». Les textes internationaux majeurs en matière de droits humains sont les suivants : la Charte des Nations Unies et la Déclaration universelle des droits de l’homme, mais également les Conventions de l’Organisation Internationale du Travail, les pactes internationaux ou encore les conventions internationales.

[2] Art. L. 225-102-4.-I.-Toute société qui emploie, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l'étranger, établit et met en œuvre de manière effective un plan de vigilance.