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Réforme de la directive Solvabilité II

By:
Edouard Hardy,
Camille Motard
Réforme de la directive Solvabilité II

Focus sur l’audit du bilan prudentiel, la durabilité et le principe de proportionnalité

Adoptée le 27 novembre 2024, la directive européenne 2025/2 vient modifier la directive Solvabilité II (2009/138/CE). Elle marque une étape importante dans l'évolution du cadre prudentiel européen du secteur de l’assurance. Cette réforme introduit plusieurs avancées notables et cet article est un focus sur trois changements majeurs :

  • L’audit obligatoire du bilan prudentiel
  • L'intégration des risques liés au changement climatique
  • Le renforcement du principe de proportionnalité, avec la création d’un statut spécifique pour les « entreprises de petite taille et non complexes »

Pour renforcer la fiabilité des informations publiées dans le rapport sur la solvabilité et la situation financière (SFCR - Solvency and Financial Condition Report), la directive instaure un audit (nouvel article 51 bis), qui n’était jusqu’à présent pas obligatoire en France. Celui-ci devra couvrir au minimum le bilan prudentiel, avec la possibilité pour les États membres d’élargir ce périmètre. La transposition de la directive en droit français déterminera les contours exacts de cette obligation d’audit, notamment en ce qui concerne son périmètre. En particulier, la question se pose de l’intégration dans cet audit de la marge de risque, et par extension le capital de solvabilité requis (SCR - Solvency Capital Requirement). Il est nécessaire pour les entreprises de se préparer à cette évolution réglementaire et d’anticiper les travaux associés.

Des synergies significatives sont attendues entre l’audit des provisions techniques des comptes sociaux et l’audit de la meilleure estimation des sinistres (BEL - Best Estimate Liabilities) du bilan prudentiel, en particulier pour les organismes d’assurance publiant des comptes en normes comptables internationales (IFRS - International Financial Reporting Standards). En effet, dans un premier temps, les données utilisées pour le calcul des provisions techniques devraient être les mêmes entre les deux référentiels. Pour les provisions techniques non-vie évaluées sur la base de données individuelles, les méthodes devraient également être proches entre les deux référentiels. Néanmoins, les provisions techniques évaluées dans le cadre de la réglementation Solvabilité II comportent des singularités qui devront être analysées spécifiquement. C’est notamment le cas du BE de primes et des paramètres et hypothèses de calcul (table de mortalité, actualisation …).

Cet audit devra être réalisé par un commissaire aux comptes ou un cabinet d’audit agréé et devra faire l’objet d’un rapport spécifique qui sera transmis à l’autorité de contrôle simultanément avec le SFCR. Afin de tenir compte de cette nouvelle exigence, les délais de communication et de publication des rapports seront prolongés de quatre semaines.

Dans le prolongement du Pacte Vert pour l’Europe, la révision de la directive introduit des obligations visant à intégrer les enjeux climatiques dans la gestion des risques. Avec la création de l’article 45 bis, la directive imposera aux assureurs d’évaluer leur exposition aux risques climatiques de manière systématique. En cas d’exposition significative, au moins deux scénarios de changement climatique à long terme devront être définis et leurs impacts évalués : l’un où le réchauffement mondial reste en dessous de 2 °C, l’autre où il dépasse les 2 °C.

Ces scénarios devront être réexaminés au minimum tous les trois ans ainsi qu’être intégrés à l’évaluation interne des risques et de la solvabilité (ORSA - Own Risk and Rolvency Solvency Assessment). Les résultats de cette analyse devront figurer dans le SFCR.

Les entreprises devront également adapter leurs politiques de gestion des risques pour refléter ces considérations, en veillant à ce que les décisions prises soient compatibles avec les objectifs de durabilité. Cela impliquera une évaluation des impacts potentiels des risques liés aux facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) sur les activités de l'entreprise, ainsi qu'une prise en compte de ces risques dans les décisions stratégiques et opérationnelles.

Au-delà de la conformité réglementaire, cette évolution reflète les attentes croissantes des parties prenantes (investisseurs, clients, régulateurs) en matière de transparence et de responsabilité environnementale. Elle renforce également le rôle du secteur de l’assurance dans la transition vers une économie plus verte, en facilitant le financement d’activités durables et en garantissant que le cadre prudentiel ne constitue pas un obstacle à ces investissements.

Depuis plusieurs années, les petits acteurs du marché et leur fédération professionnelle formulent des critiques à l’égard du régime prudentiel européen, estimant celui-ci inadapté à leurs risques et à leur réalité opérationnelle. En réponse, la réforme de la directive Solvabilité II renforce le principe de proportionnalité qui signifie que les exigences doivent être adaptées aux risques.

Pour renforcer ce principe de proportionnalité, la révision de la directive prévoit dans un premier temps une augmentation des seuils d’application du régime Solvabilité II, définis dans l’article 4, modifié par la nouvelle directive : le seuil de chiffre d’affaires passe de 5,4 à 15 millions d’euros et le seuil de provisions techniques brutes passe de 26,6 à 50 millions d’euros.

Pour adapter la charge réglementaire aux risques, la révision de la directive introduit également une nouvelle catégorie d’entreprises : les entreprises de petite taille et non complexes (SNCU - Small and Non-Complex Undertakings). Pour être éligible à cette catégorie, l’entreprise doit satisfaire à plusieurs critères quantitatifs définis dans l’article 29 bis, au niveau des primes, des provisions techniques et des modules du SCR. Les SNCU pourront bénéficier de simplifications en matière de gouvernance (cumul de certaines fonctions clés …), de reporting (simplification des exigences au niveau du SFCR …) et de calcul du SCR. Ces simplifications concernent également les nouvelles obligations introduites par la réforme, notamment l’audit du bilan prudentiel et l’intégration des risques de durabilité.

Cette approche graduée vise à alléger la charge pour ces petites entreprises à faible risque, tout en maintenant un niveau suffisant de fonds propres et de contrôle pour garantir la protection des assurés, au cœur du régime Solvabilité II.

Les conséquences précises du renforcement du principe de proportionnalité sont attendues dans le cadre de la transposition en droit français. En particulier, quelles seront les attentes pour les entreprises qui sortiront du périmètre d’application du régime Solvabilité II ?

Conclusion

La réforme de la directive Solvabilité II, à travers la directive 2025/2, marque une évolution du cadre prudentiel européen des organismes d’assurance. Parmi les avancées majeures, cet article met en lumière :

  • L’audit obligatoire du bilan prudentiel, qui vise à garantir la fiabilité et la transparence des informations publiées
  • L’intégration systématique des risques liés à la durabilité, qui encourage les assureurs à aligner leur stratégie avec les objectifs climatiques de l’Union européenne
  • Le renforcement du principe de proportionnalité, en particulier par l’adaptation des exigences pour les entreprises de petite taille et à faible risque

Un projet de règlement délégué a par ailleurs été publié par l’EIOPA pour consultation. Son adoption viendra compléter la directive en apportant des précisions techniques par amendement du règlement délégué 2015/35. La transposition de la directive, attendue avant le 29 janvier 2027 (soit la veille de l’entrée en application de la réforme européenne), précisera les modalités d’application : périmètre de l’audit du bilan prudentiel, conséquences pour les entreprises qui sortiront du périmètre d’application du régime Solvabilité II… Dès aujourd’hui, il est essentiel d’anticiper les impacts de cette réforme afin de mobiliser les ressources nécessaires et de garantir une mise en conformité efficace. Dans ce contexte de transformation réglementaire, le cabinet Grant Thornton accompagne ses clients du secteur de l’assurance en assurant une veille proactive et en mettant à disposition l’expertise reconnue de ses équipes.