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Interview d’Alban du Rostu, Directeur général du Fonds du Bien Commun

Interview d’Alban du Rostu, Directeur général du Fonds du Bien Commun
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Alban du Rostu nous présente l’approche holistique et la stratégie d’investissement à forte dimension philanthropique du Fonds du Bien Commun dont l’objectif unique, au travers des différentes entités qu’il regroupe, est d’avoir un impact positif et de transformer la société en direction du Bien Commun*.

A la fois fonds de dotation, fonds d’investissement, foncière solidaire et incubateur, le Fonds du Bien Commun soutient et crée depuis 2021 des associations et des entreprises qui ont le potentiel d’avoir un impact de transformation sur la société et l’économie française. Sa vocation est de faire passer à l’échelle des initiatives pour transformer la France au bénéfice des générations futures. Le Fonds du Bien Commun répartit 80% de ses investissements dans le passage à l’échelle des projets porteurs de sens et 20% sur la création et l’amorçage de projets naissants.

Quelques mots sur votre parcours professionnel et les raisons qui vous ont conduit à rejoindre le Fonds du Bien Commun ?

Après un début de carrière dans la finance aux Etats-Unis puis plusieurs années en cabinet de conseil en stratégie, deux raisons essentielles m’ont poussé à changer de carrière pour m’engager au Fonds du Bien Commun.

La première, comme des millions de Français, est la quête de sens : comment aligner ma vie professionnelle avec mes valeurs personnelles ? 

La deuxième est ma rencontre avec Pierre-Edouard Stérin, un entrepreneur et investisseur qui a pris l’engagement de donner 100% de son patrimoine à des projets œuvrant au Bien Commun. J’ai découvert ce projet hors norme dans la presse et l’ai contacté. C’est ainsi que j’ai rejoint l’aventure !

Pourriez-vous revenir sur les origines du FBC et son approche holistique visant à “transformer la société” ?

Le projet du Fonds du Bien Commun repose sur un double constat :

D’abord : la décennie qui s’ouvre est cruciale pour l’avenir du pays. Que ce soit en termes d’éducation, d’environnement, de l’état de notre patrimoine, de démographie, de pauvreté, etc. Les années qui viennent vont être déterminantes.

Dans le même temps, nous observons l’émergence d’une génération d’entrepreneurs sociaux qui s’engagent pour répondre à ces grands défis.

Avec le Fonds du Bien Commun nous voulons soutenir ces entrepreneurs qui veulent transformer la société en direction du Bien Commun. Croyez-moi, les côtoyer au quotidien rend résolument optimiste sur l’avenir de notre pays !

L’approche holistique du Fonds du Bien Commun repose sur une conviction forte : Associations, entreprises, individus, fondations… nous avons tous un rôle à jouer. Afin de tous les aider à agir nous réalisons des dons (2/3 de notre activité) mais aussi des investissements en capital, en immobiliers via une foncière solidaire et en accompagnement d’entrepreneurs avec notre incubateur.

De notre point de vue la frontière stricte entre associations et entreprises est appelée à s’effacer. Dans le monde qui vient, les entreprises ne peuvent plus agir uniquement « pour l’argent » : les talents et les investisseurs ne les rejoindront pas, comme en témoigne le développement formidable des entreprises à missions, fondations actionnaires, etc. Réciproquement, les associations se professionnalisent et innovent autant que les startups ! De plus en plus de profils de dirigeants incarnent cette perméabilité entre les deux modèles, construisant leurs carrières entre associations, fondations et entreprises. Nous voulons contribuer à cette hybridation : en mettant en place tous les outils qui donnent les clés d’un fort développement aux porteurs de projets associatifs et entrepreneuriaux. Un fonds de dotation, un fonds impact, un startup studio, une foncière solidaire et une équipe opérationnelle pour assister les porteurs de projet de l’écosystème.

Notre approche est également holistique dans la variété des projets que le Fonds du Bien Commun soutient : on peut intervenir en early stage avec la startup studio comme sur des projets bien plus matures avec le fonds impact par exemple.

Le FBC qui regroupe plusieurs entités : fonds de dotation, fonds d’investissement, foncière solidaire et incubateur, a pour objectif de soutenir et créer des associations et des entreprises. Pourriez-vous nous présenter les 5 domaines d’action que vous vous êtes fixés et sur lesquels vous souhaitez avoir un impact positif ?

Le Fonds du Bien Commun couvre effectivement 5 domaines d’action afin d’agir à la fois pour le développement intégral de l’Homme et le Bien de la société dans son ensemble. Dans chacun de ces domaines nous avons défini 1 ou 2 objectifs aspirationnels. Tous les projets que nous soutenons doivent produire un impact sur ces objectifs.

D’abord, nous œuvrons pour une éducation intégrale avec comme objectifs de placer la France dans le Top 5 mondial pour l'excellence et l'égalité scolaire et donner accès à l’éducation culturelle et humaine à 100% des enfants.

Ensuite, nous accompagnons la croissance humaine et spirituelle, autrement dit, nous contribuons à la quête de sens et la vie spirituelle de tous, à tous niveaux.

Troisièmement, nous menons des actions de solidarité notamment pour accompagner les âges les plus fragiles de la vie : la petite enfance, l’adolescence et le grand âge. Nous favorisons aussi l’insertion des plus fragiles dans la société, notamment dans l’emploi.

Le patrimoine naturel et culturel est le 4ème domaine que nous adressons. Le but est de le valoriser afin de le transmettre aux générations futures. Nous cherchons aussi ici à préserver les espaces naturels, la biodiversité et soutenir la transition agroécologique. Ce sont nos biens communs.

Le dernier domaine que nous soutenons est la souveraineté économique et culturelle française. L’objectif est de promouvoir la culture française et soutenir l’activité locale pour redynamiser les territoires.

Qui sont vos investisseurs et actionnaires ? Comment êtes-vous organisés ? Quelle est votre gouvernance ? Quelles équipes et quels profils ?

Nous n’avons pas d’actionnaire. Notre structure de tête est un fonds de dotation, ce qui signifie que 100% des profits générés par le FBC sont reversés à des associations.

Notre gouvernance s’organise par structures. Dans chacune, nous tâchons d’incarner l’hybridation des modèles que nous promouvant en mélangeant profils business et philanthropiques.

Notre équipe est composée d’une vingtaine de professionnels de trois pôles de compétences : l’investissement, l’accompagnement et la création. En investissement, nos collaborateurs sont issus du Private Equity, du conseil en stratégie ou de Fondations. Pour l’accompagnement aux entrepreneurs, nous avons des profils experts : mécénat, communication, finance, immobilier, etc. L’idée est de pouvoir aider les entrepreneurs à toutes les étapes de leur passage à l’échelle. Enfin, pour la création d’entreprises, nous recrutons des entrepreneurs et créateurs de projet ambitieux, généralement primo-entrepreneurs.

Nous sommes toujours à la recherche de talents, rejoignez-nous !

Le FBC se caractérise par un modèle d’investissement hybride en investissant et soutenant à la fois des associations (non-profit) et des entreprises (recherchant le profit). Comment conciliez-vous cette approche et arbitrez-vous les décisions d’investissement entre ces deux logiques ?

Nous sommes l’inverse d’un fonds impact classique qui veut atteindre un objectif de rentabilité financière en minimisant les externalités négatives des investissements. De notre côté, l’impact est le seul objectif, quelque soit la rentabilité financière du projet, ou l’absence totale de rentabilité puisque 2/3 de nos projets sont des associations.

Nous pensons que les associations et les entreprises ont toutes un rôle à jouer et qu’il est possible de comparer le niveau d’impact porté par les 2 structures. Concrètement, si une association produit un impact 100 et une entreprise rentable un impact 80, nous choisirons de soutenir l’association.

Le niveau d’impact est votre principal critère et objectif d’investissement. Comment mesurez-vous son niveau au fil de l’eau ? Quels niveaux de diligence et d’analyse vous êtes-vous fixés pour le suivre et le mesurer objectivement ?

Nous avons défini pour chacune de nos priorités des KPIs que nous voulons atteindre/concrétiser. Par exemple, le classement PISA de la France détermine notre action en éducation. Notre objectif y est de passer de la 34ème place sur 35 en matière d’égalité en 2022 à la 5ème en 2050. En fait, nous cherchons des projets qui vont faire bouger ces KPIS. Ensuite, nous réalisons une mesure d’impact horizon 2040/2050.

Quant aux due diligences, nous agissons comme un fonds classique en analysant finement le marché, la concurrence, le modèle, l’équipe, etc. L’idée est d’obtenir des garanties sur la capacité du projet à délivrer l’impact annoncé.

En matière de suivi, à la suite de l’investissement ou du don, nous définissons avec l’entrepreneur des KPIs de performance, nous les suivons dans le temps et conditionnons les financements suivants à l’atteinte d’objectifs définis ensemble. Une fois le projet validé, nous accompagnons l’équipe de l’entrepreneur et mettons toutes nos ressources à sa disposition pour l’aider à réaliser son ambition.

Le FBC veut créer et faire passer à l’échelle les projets qui transformeront les sociétés françaises et européennes en direction du “Bien Commun”. Quelles sont les valeurs philanthropiques qui sous-tendent votre philosophie d’investissement ?

Le FBC agit dans le cadre de l’intérêt général et il est non confessionnel.

Nous sommes inspirés de plusieurs sources philosophiques ancrées dans les valeurs humanistes.

On y retrouve la pensée Grecque : elle accorde une importance au Bien Commun en tant qu’harmonie collective dans la cité. La vision a aussi hérité de la période romaine sous forte influence du christianisme : à partir de cette époque, le bien commun est plus envisagé comme développement intégral de l’homme, soit comme une vision qui cherche à ce que chacun soit comblé, à ce que l’enfant soit éduqué, la personne handicapée accompagnée, la pauvre nourrie. Ce sont des valeurs universelles.

On peut également citer le personnalisme, l’humanisme, toutes ces pensées ont du bon.

Pourriez-vous présenter votre projet de création d’une société de gestion d’actifs dont les investisseurs seraient en particulier des clients institutionnels et retail (personnes physiques) attachés aux valeurs de bienveillance, soutien et altruisme ? Quels sont les objectifs et les ambitions affichées de ce projet ? Quels objectifs d’actifs sous gestion pour quels impacts ?

Parmi la dizaine de projets entrepreneuriaux en cours, nous lançons avec d’autres fondations une société de gestion de capital pour compte de tiers dont la finalité est de financer des œuvres caritatives dans l’éducation, la pauvreté, le patrimoine, etc.

Nous faisons un constat simple : les gens veulent donner du sens à leur épargne, comme en témoigne le fait que 50% de la collecte retail de 2021 s’est faite sur des produits ESG.

Mais ESG cela veut à la fois tout et rien dire et bien souvent cela ne suffit pas à réellement changer la donne. Nous voulons aller nettement plus loin en créant une société de gestion ESG ++ :

  • ESG car tous les produits seront labelisés
  • ESG + car nous appliquerons en plus des critères liés aux valeurs chrétiennes comme celles défendues par le pape sur l’écologie, la pauvreté, le partage de la valeur, etc.
  • ESG++ car la société de gestion appartient à des fondations et donc tous les profits sont reversés à des associations.

Nous pensons que cette offre pourrait séduire les particuliers et institutionnels qui se reconnaissent dans ces valeurs. Nous nous fixons un 1er objectif ambitieux mais réaliste étant donné la tendance d’investissement responsable : 20Mds€ d’AUM en 10 ans avec une gamme de produits diversifiée.

Au final, nous voulons rejoindre le mouvement de ceux qui mettent la finance au service du bien commun et de la philanthropie. Avec cette société de gestion nous voulons offrir à tous l’opportunité d’investir en lien avec leurs valeurs.

Autre levier de transformation de la société, votre activité de production audiovisuelle. Pourriez-vous nous présenter les objectifs de cette société ainsi que les impacts ciblés ?

Le constat fondateur de ce projet est le suivant ; les produits culturels comme les séries et les films, sont des formidables moyens de transmettre des valeurs positives.

Aujourd’hui, nous produisons ou coproduisons des films sur l’histoire, l’éducation, le couple, le handicap. Le premier film que nous co-produisons sera sur les écrans en janvier il s’agit d’une co-production avec Canal + sur l’Histoire de France : Vaincre ou mourir. Les premières images sont magnifiques !

Quel regard portez-vous sur l’investissement à impact tel qu’il est pratiqué par de plus en plus de sociétés de gestion ? Peut-on parler de Greenwashing ou plutôt d’Impact Washing ?

Je trouve cela très positif. Beaucoup ressentent qu’ils n’ont plus d’autre choix que d’intégrer des dimensions d’impact dans leurs investissements et c’est un bon signe qu’il se passe quelque chose !

Le principal problème est que peu d’acteurs sont dans l’impact by design et notamment dans les fonds. Ils ont beau intégrer autant de critères ESG que possible, peu de fonds ont été créés pour l’impact, ce qui est logique étant donnée leur structure actionnariale : ils doivent servir leurs LPs (Limited Partners).

Avec le FBC, nous voulons inspirer un nouveau modèle de fonds, un fonds réellement philanthropique dont la seule finalité est l’impact, quelle que soit la rentabilité. Nous pouvons le faire grâce à l’engagement de notre fondateur. Nous avons donc besoin de plus de philanthropes !

*Grant Thornton est l’un des partenaires de la chaire de recherche et d’enseignement « Entreprises et bien commun » [ 226 kb ]